30 novembre 2016
29 novembre 2016
28 novembre 2016
Le rouet (Tournier)
Peinture : Albert Anker
Le rouet
Quoi ! vous vouliez le faire disparaître
Dans quelque sombre et triste corridor,
Ce vieux rouet qu'à travers la fenêtre
Le gai soleil frappe d'un reflet d'or ?
Si vous saviez la douce rêverie
Qui près de lui si souvent m'a bercé !
Si vous saviez à mon âme attendrie
Tout ce que dit ce témoin du passé !
C'est le rouet de la grand-mère !
Il me semble encore la voir,
Malgré l'âge active ouvrière,
Filant du matin jusqu'au soir.
Oui, je la vois, c'est elle, c'est bien elle !
Sa robe sombre aux larges plis tombants,
Sa coiffe antique, et sa tête si belle,
Si belle encore, sous ses beaux cheveux blancs !
Ici, près d'elle, une cage est posée,
Là, le vieux chat dort devant les tisons,
Et le soleil, à travers la croisée,
Comme aujourd'hui darde ses chauds rayons !
Quelle fête pour la grand-mère
Quand ses oiseaux, dans les beaux jours,
Chantaient leur chanson printanière,
Le vieux rouet tournant toujours !
Je vois l'école au sortir de laquelle
Avec bonheur grimpant notre escalier,
De loin déjà m'arrivaient pêle-mêle
Le gai ramage et le bruit familier
J'entrai. -Eh bien ! disait la bonne vieille,
A-t-on point ri ? s'est-on point fait chasser ?
Dois-je embrasser ou bien tirer l'oreille ?
-Non ! grand-maman, vous pouvez m'embrasser.
Je le sens encore sur ma joue
Ce tendre et long et doux baiser !
Et bientôt la petite roue
De recommencer à jaser !
Comme elle fuit rapide, obéissante !
Et quel plaisir de voir en même temps
Diminuer l'étoupe éblouissante,
Croître le fil sous les doigts palpitants !
Mais tout à coup le voilà qui s'embrouille....
-C'est lui, c'est lui ! c'est ce maudit garçon
Qui veut toujours toucher ma quenouille.
Allez-vous en, monsieur le polisson !
Mais ces grands courroux de grand-mère
Ne tardent pas à s'apaiser.
-Pardon ! lui disais-je, et la guerre
Amenait un nouveau baiser.
Dès le matin, quand venait le dimanche,
Ce vieux rouet, qu'il faisait bon le voir
Enveloppé de sa chemise blanche,
Près du fauteuil endormi jusqu'au soir !
La grande Bible aux naïves images
S'ouvrait alors, et le temps s'oubliait
A regarder Job, David, les rois mages,
L'enfant Jésus ! - et l'aïeule priait !
Et de l'antique cathédrale
Tandis que nous lisions, parfois
Nous entendions par intervalle
L'orgue élever sa grande voix !
Plus tard, un soir : -Ecoute, me dit-elle.
Tu vois ce fil, enfant : tels sont nos jours.
Sur ma quenouille une main immortelle,
La main de Dieu, les file longs ou courts.
Puissent les tiens, qui commencent à peine,
Dépasser ceux que je dois au Seigneur !
Puisse surtout sa bonté souveraine
A leur durée égaler ton bonheur !
Et les deux mains de la grand-mère
Se joignant au bord du rouet,
Oh!, de quelle ardente prière
Elle accompagna ce souhait !
-Les miens s'en vont, ajouta-t-elle encore,
Et ma quenouille est bien près de finir !
Au soir du jour qui pour toi vient d'éclore
J'arrive en paix, et je n'ai qu'à bénir !
Quand du rouet de ta pauvre grand-mère
Puisse une larme au bord de ta paupière
Monter encore en songeant au passé !
Grand'mère, la voilà cette heure,
Depuis longtemps il a cessé...
Et regardez ! votre enfant pleure
Auprès du rouet délaissé.
27 novembre 2016
George Sand "Aimer la peine"
Histoire de ma vie
Quatrième partie - Chapitre IX
Aimer la peine
...
J’ai souvent entendu dire à des femmes de talent que les travaux du ménage, et ceux de l’aiguille particulièrement, étaient abrutissants, insipides, et faisaient partie de l’esclavage auquel on a condamné notre sexe. Je n’ai pas de goût pour la théorie de l’esclavage, mais je nie que ces travaux en soient une conséquence. Il m’a toujours semblé qu’ils avaient pour nous un attrait naturel, invincible, puisque je l’ai ressenti à toutes les époques de ma vie, et qu’ils ont calmé parfois en moi de grandes agitations d’esprit. Leur influence n’est abrutissante que pour celles qui les dédaignent et qui ne savent pas chercher ce qui se trouve dans tout : le bien-faire. L’homme qui bêche ne fait-il pas une tâche plus rude et aussi monotone que la femme qui coud ? Pourtant le bon ouvrier qui bêche vite et bien ne s’ennuie pas de bêcher, et il vous dit en souriant qu’il aime la peine.
Aimer la peine, c’est un mot simple et profond du paysan, que tout homme et toute femme peuvent commenter sans risque de trouver au fond la loi du servage. C’est par là, au contraire, que notre destinée échappe à cette loi rigoureuse de l’homme exploité par l’homme.
La peine est une loi naturelle à laquelle nul de nous ne peut se soustraire sans tomber dans le mal. Dans les conjectures et les aspirations socialistes de ces derniers temps, certains esprits ont trop cru résoudre le problème du travail en rêvant un système de machines qui supprimerait entièrement l’effort et la lassitude physiques. Si cela se réalisait, l’abus de la vie intellectuelle serait aussi déplorable que l’est aujourd’hui le défaut d’équilibre entre ces deux modes d’existence. Chercher cet équilibre, voilà le problème à résoudre ; faire que l’homme de peine ait la somme suffisante de loisir, et que l’homme de loisir ait la somme suffisante de peine, la vie physique et morale de tous les hommes l’exige absolument ; et si l’on n’y peut pas arriver, n’espérons pas nous arrêter sur cette pente de décadence qui nous entraîne vers la fin de tout bonheur, de toute dignité, de toute sagesse, de toute santé du corps, de toute lucidité de l’esprit. Nous y courons vite, il ne faut pas se le dissimuler.
La cause n’est pas autre, selon moi, que celle-ci : une portion de l’humanité a l’esprit trop libre, l’autre l’a trop enchaîné. Vous cherchez en vain des formes politiques et sociales, il vous faut, avant tout, des hommes nouveaux. Cette génération-ci est malade jusqu’à la moelle des os. Après un essai de république où le but véritable, au point de départ, était de chercher à rétablir, autant que possible, l’égalité dans les conditions, on a dû reconnaître qu’il ne suffisait pas de rendre les citoyens égaux devant la loi. Je me hasarde même à penser qu’il n’eût pas suffi de les rendre égaux devant la fortune. Il eût fallu pouvoir les rendre égaux devant le sens de la vérité.
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